série "Comprendre l'avion" de trois ouvrages : T1 l'air et l'avion T2 mécanique du vol T3 propulsion.
Chers collègues pilotes, ou plutôt, chers aviateurs. Depuis le nuage d'où je vous observe, j'ai eu le triste privilège d'assister en direct au crash du Vol AF 447 Rio-Paris. Je dois dire que j'ai été tenté d'intervenir ce jour-là. Malheureusement je n'ai pas pu le faire à cause de l'interdiction formelle qui m'a été faite le jour de mon arrivée ici le 26 novembre 2006 : n'intervenir en aucune façon sur les destinées humaines. Un peu contrarié par cette injonction, j'ai donc décidé après coup, de contourner l'interdiction et d’utiliser un moyen détourné en vous parlant grâce à un intermédiaire : en effet, vous connaissez probablement ma tendance à ne pas respecter certains interdits hiérarchiques. J'ai donc choisi de m'adresser à vous via Hugues Marzuoli. Je dois dire que je regrette un peu ce choix, car il était loin d'être mon meilleur élève ! Mais enfin je fais ce que je peux avec ce que j'ai ! Au détour d'un nuage, j'ai rencontré les 3 malheureux pilotes de ce vol, incompréhensible et tragique pour vous humains. Je dois dire que j'ai commencé par les engueuler comme d'habitude, vous me connaissez ! Mais après réflexion, j'ai reconnais avoir eu tort d'être aussi sévère avec eux. Vous, sur terre, ne devriez pas les accabler non plus, comme certains le font. Je veux parler de ceux qui ont conçu tous ces automatismes stupides qui ne font que ce pour quoi on les a programmés, et ne savent pas improviser, chose que seul un cerveau humain bien formé peut faire. J’insiste sur "bien formé ! Je vous avais déjà expliqué cela lors du Symposium SNPL sur la Formation en 1981, mais ça n'avait pas eu l'air de vous faire beaucoup d'effet à ce moment-là. Marzuoli se chargera d'ailleurs de vous communiquer l'extrait de mon intervention, dans laquelle je vous expliquais que les ingénieurs, informaticiens et autres spécialistes, sans oublier les commerciaux, ont la "prétention exorbitante de vouloir programmer la queue de probabilité", c'est à dire en clair : prévoir l'imprévisible ! En fait, il faut le dire, ces 3 nouveaux arrivants ne sont pas responsables de ce qui est arrivé. J'en ai d'ailleurs profité pour leur faire un cours, qu'on aurait dû leur faire pendant leur formation, sur "Le Pilotage Rationnel des Avions" et sur mon Collimateur de Pilotage. Ils ont reconnu que j'avais raison et que s'ils avaient reçu cet enseignement et disposé d'un collimateur, on n'aurait jamais entendu parler de cet accident. Je pourrais faire en ce moment une petite sieste tranquille, un petit cumulus bien douillet en guise d'oreiller. Mais ce que je leur ai enseigné ne va plus leur servir à grand-chose ici ! En revanche, vous en bas, devriez vraiment faire quelque chose, en relisant ce que j'ai écrit et enseigné, et en utilisant des collimateurs de pilotage dans tous les avions, afin que pareille catastrophe ne se reproduise plus, comme cela a été encore malheureusement le cas récemment, avec AIR AISIA. Vous avez pris connaissance du rapport final du BEA, sur l’AF447, et je ne vais y revenir que sur un point : le Directeur de Vol. Ne serait-il pas en effet à l'origine des manœuvres malheureuses du pilote aux commandes ? Il semblerait en effet que celui-ci ait tenté de mettre les barres en croix lors des apparitions sporadiques du DV. Simple hypothèse à examiner. Si tel a été le cas, cela démontrerait ce que j'ai toujours soutenu : que ce n'est plus le pilote qui réfléchit et décide, car le DV le relègue au rôle de simple exécutant, devant se contenter de mettre les barres en croix. Quels étaient les éléments qui auraient permis aux pilotes de se représenter la situation au moment où le PA s'est déconnecté, en oubliant de leur dire : "là, les gars, je ne sais pas faire, maintenant démerdez-vous !" ? ll aurait suffi de 3 informations : 1) La trajectoire suivie par l'avion, donc un VECTEUR VITESSE, 2) L'INCIDENCE de vol, car c'est ce paramètre qui produit la portance qui équilibre le poids, 3) l'ÉNERGIE TOTALE (cinétique + potentielle) disponible. Avec ces 3 éléments, les pilotes n'auraient pas eu besoin "d'imaginer" comment volait leur avion : ils l'auraient VU ! (Les malheureux devaient se croire dans le Triangle des Bermudes au milieu de phénomènes surnaturels. D'ailleurs ils n'étaient pas loin de cet endroit réputé magique !). En fait, ils auraient dû disposer d'un COLLIMATEUR DE PILOTAGE. Cet instrument représente directement les lois de Newton. Soit dit, en passant, belle démonstration de l’efficacité des automatismes qui devaient « rattraper les conneries des pilotes » selon les propres termes de celui qui disait : « ma concierge serait capable de piloter cet avion ! » Le même répondait encore récemment aux journalistes venus l’interviewer : « mais enfin les pilotes (sous-entendu ces cons), n’avaient qu’à continuer avec la même assiette et la même poussée qu’avant la panne de vitesse ! » C'est vrai. Il suffisait de continuer à appliquer les lois de Newton à l'oeuvre avant la panne de vitesse. Mais quel cynisme de dire cela lorsqu'on est confortablement assis derrière un luxueux bureau en acajou et qu'on a tout fait pour que les pilotes ne soient pas formés dans cette optique, en confiant la tâche "intelligente" à des automatismes, qui ne comprennent pas les Lois de Newton, pas plus que ceux qui ont rédigé les procédures de panne ! Avec cet instrument les pilotes auraient pu agir eux-mêmes sur leur destin avec le manche et la poussée ! Avec ça, effectivement, même ma concierge (bien formée bien entendu) aurait été capable de piloter l'avion ! Oserais-je dire qu'au retour d'un vol avec le N 262, j'ai commis une bourde en disant à peu près la même chose au pilote qui venait d'essayer mon collimateur : "n'importe quel con serait capable de piloter ça !", sans m'apercevoir que je l'avais vexé. Désolé j'étais comme ça ... mais sans aucune méchanceté croyez-moi ! C'est pourtant vrai que ce n'est qu'un jeu d'enfant d'utiliser mon collimateur. Il suffit : 1) de positionner le Vecteur Vitesse sur une pente donnée par rapport à l'horizon avec le joystick, 2) de vérifier que l'Incidence est correcte, et donc la vitesse aussi, même si elle n'apparaît pas, 3) d'afficher l'énergie nécessaire (soit en poussant les manettes vers l'avant, soit en utilisant l'énergie potentielle en poussant le joystick vers l'avant s'il y de "l'eau sous la quille" bien entendu ! Je vous le redis : un vrai jeu d'enfant que même ma concierge (surtout bien formée) pourrait comprendre ! Mais cela me fatigue de répéter ça depuis plus de 40 ans. Alors je vais retourner faire ma petite sieste en ne vous disant surtout pas "à bientôt", car cela signifierait que vous ne m'avez pas écouté, mais « à plus tard »... le plus tard possible, et en vous amusant bien sur terre, car ici je m'emmerde un peu à ne rien inventer et personne à engueuler ! Allez, ciao, bonsoir !
Signé Gilbert Klopfstein
* Gilbert Klopfstein était ingénieur et pilote d'essai. Professeur d'aérodynamique et mécanique du vol à SUP AERO. Il est l'inventeur du collimateur de pilotage (Klopfstein Display) et de nombreux instruments géniaux. Il a notamment écrit "le Pilotage Rationnel des Avions" ainsi qu'une série de trois ouvrages parus aux éditions CEPADUES : "COMPRENDRE L'AVION". Pour en savoir plus, allez sur le site internet "HEADUPFLIGHT" qui lui est consacré.